[…]
»…Nul ne saurait se prévaloir de l’article
10 de la Convention pour se faire le complice ou l’apologiste des crimes, c’est
à dire de commettre un délit prévu par la loi. Il existait, avant la loi
Gayssot, des dispositions légales réprimant la diffamation raciale, l'injure
raciale, la provocation à la haine raciale et l'apologie de la haine raciale.
C’est en vertu de ces dispositions, dans les premières années de
l’après-guerre, que les premiers négationnistes Maurice Bardèche et Paul
Rassinier, ont été poursuivis pour apologie de crime de meurtre. La
jurisprudence démontre ainsi que le juge a toujours disposé, bien avant 1990,
d’un arsenal suffisant.
Comment va, dès lors, agir le juge
européen, qui contrairement au juge national français, ne bénéficie d’aucun
texte ad’hoc vis à vis du négationnisme ? Ou comment empêcher les
réinterprétations fallacieuses du passé par des « falsificateurs de
l’histoire » ou des épigones divers qui revendiquent la liberté
d’expression, l’immunité de l’historien puis au stade ultime du contrôle européen
invoquent la protection conventionnelle notamment relevant de la liberté
d’expression ou d’autres droits fondamentaux garantis par la Convention. La
Cour européenne des droits de l’homme en a trouvé les moyens – au stade du
contrôle de la violation conventionnelle – en revenant aux sources et aux
fondements mêmes de l’instauration de la Convention des droits de l’homme.
Depuis au moins 1979, les organes de la Convention
ont refusé la protection de la Convention en faisant application de l'article 17 qui interdit à toute personne « de déduire de la Convention un droit
de se livrer à des activités visant à la destruction des droits et
libertés reconnus par la Convention », notamment pour un parti raciste néerlandais, mais a ensuite été appliqué pour un individu qui
voulait reconstituer un partie nazi, en 1982,
et à la responsable de la publication, en Belgique, d'un texte attribué à Léon
Degrelle, intitulé « Lettre au Pape à propos d'Auschwitz ».
La règle a
été appliquée sans désemparer envers les
négationnistes de tous pays, soit pour
des brochures révisionnistes en Allemagne, et pour la France, avec bien évidemment
d’abord la décision Marais, en 1996, pour négationnisme des chambres à gaz du camp de Struthof et qui invoquait les droits de la
« recherche historique », auquel la
Commission a répondu que son entreprise visait en réalité « sous couvert
de démonstration technique à remettre en cause l’existence et l’usage des
chambres à gaz… » et qu’il
n’était « pas inéquitable, de la part
d'un juge, de refuser d'autoriser la preuve de faits, d'ailleurs contraire
à une vérité́ historique notoire, dont l'affirmation comme telle est
diffamatoire ».
Ou bien
encore dans la décision Garaudy où la Cour estime qu’en vertu des dispositions
de l’article 17 de la Convention, le requérant ne peut pas se prévaloir
des dispositions de l’article 10 de la Convention en ce qui concerne les
éléments relevant de la contestation de crimes contre l’humanité car cela « ne relève en aucune manière d’un travail de recherche historique
s’apparentant à une quête de la vérité. …. La négation ou la révision de faits
historiques de ce type remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte
contre le racisme et l’antisémitisme et sont de nature à troubler gravement
l’ordre public. Portant atteinte aux droits d’autrui, de tels actes sont
incompatibles avec la démocratie et les droits de l’homme et leurs auteurs
visent incontestablement des objectifs du type de ceux prohibés par
l’article 17 de la Convention ».
Si, le
principe demeure que la Cour Européenne
entend s’abstenir de se prononcer sur des questions d’ordre purement
historique, lesquelles ne relèvent pas de sa compétence, il ne s’applique que «
dans toute la mesure du possible ».
Ce qui signifie clairement que la Cour accepte explicitement de « dire » l’histoire dans deux cas précis.
La Cour
s’est ainsi référé au concept de "vérités
historiques établies" ou
de "vérités historiques
notoires" et, à ce
titre, elle reconnaît, de façon intangible,
deux catégories de vérités
historiques établies, qu’elle
appelle aussi parfois des « faits clairement établis ».
La première de ces vérités, est la Shoah, - dont la
négation ou la révision est « soustraite par l’article 17 à la protection
de l’article 10 » - et que l’on ne peut soumettre à débat en invoquant le
principe de liberté d'expression.. Elle était anciennement
qualifiée de « fait notoire » par la Commission européenne des droits
de l’homme finissante, - puisqu’elle allait être supprimée - dès la fin des
années 80. Elle avait répondu à un requérant allemand, qui se plaignait de ne
pas pouvoir distribuer des brochures négationniste : « Ce fait historique est non seulement un fait
notoire, établi avec certitude par des preuves écrasantes de tous genres, mais
a été même reconnu par le requérant lui-même […] ».
A cela
s’ajoute une seconde vérité notoire : le
caractère totalitaire et antidémocratique des partis communistes dirigeants des
Etats de l’Europe centrale et orientale avant 1990, que la Cour a qualifié de « réalités historiques
notoires » dans les arrêts, Rekvényi contre Hongrie et Zdanoka contre Lettonie.
Mais, à l’inverse, la Cour, a élaboré un second
concept qui trouve à s’appliquer à tous les autres faits historiques,
c’est l’absence de « vérité historique
unique », qui, « de toute façon, n'existe
pas » ajoute-t-elle. La Cour oppose ainsi à la
notion de « vérité historique unique », la
notion de "domaines où la certitude est improbable » et où le « débat
entre historiens est ouvert », comme le rôle de la Suisse pendant la
deuxième guerre mondiale qui se « situe dans le contexte d'un débat
public », ou encore, le rôle du Maréchal Pétain, en France, de 1940
à 1944, qui est, pour la Cour, un
« domaine où
le débat entre historien est ouvert » (Lehideux et Isorni), une formulation alternative - « toujours en cours entre historiens » (Chauvy) - étant aussi parfois utilisée.
Ce second concept à un corollaire, puisque dans ce
domaine, la Cour renvoie les Etats parties à la Convention à l’« effort
que tout pays est appelé à fournir pour débattre ouvertement et sereinement de
son histoire » (Lehideux, Monnat). Ainsi, lorsqu'il s'agit du
débat historique, dans un domaine où la certitude est improbable et la
controverse toujours actuelle, la liberté d'expression vaut non seulement pour les «
informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme
inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou
inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit
d'ouverture sans lesquels il n'est pas de « société démocratique » non seulement pour les
« informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou
considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui
heurtent, choquent ou inquiètent trouve à s’appliquer.
Mais la
jurisprudence, dira-t-on, n’est pas la loi. Et la Justice n’est pas le droit
puisqu’elle n’en représente, selon le mot du Doyen Jean Carbonnier, que son
« aspect pathologique ».
… «
*Avocat aux barreaux de Paris et de
Bordeaux, Président de l’Institut des Droits de l’Homme des avocats Européens.
**Extraits de l’ouvrage La loi peut-elle dire l’histoire ?
Editions Bruylant, 2013.
Les auteurs de l’ouvrage : Pim den BOER, François DELPLA, Bertrand FAVREAU,
Jean-François FLAUSS, Georges
KIEJMAN, Mario LANA, Christophe PETTITI, Michel PUECHAVY, Gilles MANCERON,
.Emmanuel NAQUET, Vincent NIORÉ, Pierre NORA, de l'Académie française, Christian VIGOUROUX, Antoine VALERY, envisagent cette question qui divise les historiens.
© Bruylant 2013
Haut de la page