L’IDHBB s'inquiète de la recrudescence de
l’antisémitisme.
Il publie à cet effet la conférence
prononcée le 8 juillet 2006, par M. le bâtonnier CHARRIERE-BOURNAZEL à Aubeterre sur Dronne, ville natale de Ludovic Trarieux, fondateur de la Ligue des Droits de l’Homme.
Cette remarquable conférence n’a pas pris
une ride en 2014.
(Le texte a été publié in extenso dans
l’Ouvrage, Dreyfus réhabilité, cent ans après, Editions du Bord de l’Eau 2008).
« L’affaire Dreyfus, cent ans après, devrait appartenir à
l’histoire et ne plus nous concerner que comme le rappel de l’aberration
mentale qu’a constituée l’antisémitisme et pour la leçon d’espérance donnée par
ces hommes et ces femmes qui se sont battus pour la vérité et la justice contre
le fantasme.
Hélas, dans la ligne de Drumont, Charles Maurras et Léon Daudet
ont empoisonné la première moitié du XXème siècle de leur haine du
juif. L’ignoble mauvaise pensée antisémite couvée depuis des siècles a produit
ses fruits hideux de 1933 à 1945.
La paix revenue, les nazis vaincus et l’inventaire sinistre de la
Shoah ayant été enfin établi, on pouvait espérer que la mauvaise pensée se
dissolve dans l’air comme les restes des malheureux suppliciés dispersés en
fumée.
Hélas ! Il n’en est rien.
L’antisémitisme existe. Il a ses zélateurs masqués ou déclarés et
sous des formes nouvelles, c’est toujours la même haine et la même volonté
d’anéantissement.
Je vous propose de réfléchir avec moi quelques minutes autour de
trois axes :
- l’expression contemporaine de l’antisémitisme
traditionnel ;
- les formes nouvelles de l’antisémitisme et des violences ;
- les débats juridiques autour de l’antisémitisme et du
négationnisme.
I – L’EXPRESSION
CONTEMPORAINE DE L’ANTISÉMITISME TRADITIONNEL
Quiconque a lu le livre de Jean-Denis Bredin intitulé L’Affaire
se rappelle le florilège que le grand avocat et écrivain y a fait figurer des
formules antisémites de l’époque, telles que d’autres avant moi les ont
évoquées :
- Maurice Barrès s’écriant : « Que Dreyfus ait été capable de trahir, je le déduis de sa race ! » ;
- Léon Bloy : « Le youtre est le confluent de toute la
pestilence du monde » ;
- Léon Bloy encore dans le même livre intitulé Le salut par les
Juifs : « Et l’argent, ce
métal infortuné devint une proie entre leurs griffes d’oiseaux des morts et
l’âme des peuples à la longue s’encrassa de leur pestilence » ;
- Léon Daudet décrivant une réception chez les Rothschild parle
d’une odeur particulière et pestilentielle qui y règnerait et stigmatise ces
jeunes gens empressés autour du maître avec leur nez « en robinet de bains ».
Ce sont encore les phrases de Maurras que rappellera et stigmatisera
l’avocat Georges Izard lors du procès de Maurras contre Paul Claudel :
« Au prochain crime commis contre des
patriotes, c’est sur vous, Abraham Schrameck, que je
donnerai l’ordre de riposter. Je vous tuerai comme un chien ».
Cette haine brute qui ne procède d’aucun raisonnement, d’aucune
argumentation (à supposer qu’on puisse en construire une !) s’exprime
comme si elle était la conséquence d’une évidence sur laquelle il n’y a même
pas à s’arrêter. Rien à démontrer, rien à justifier : le Juif est
haïssable, un point c’est tout.
L’antisémitisme contemporain s’exprime de trois manières :
- la même violence qui n’a que faire de se justifier ;
- une autre qui procède de l’héritage antisémite chrétien ;
- une autre enfin, plus subtile et peut-être plus dangereuse
encore, qui prétend ne s’en prendre qu’à l’idéologie sioniste en récusant toute
accusation d’antisémitisme.
A – L’ANTISÉMITISME BRUT
Mes exemples sont tirés d’affaires jugées par les tribunaux :
- National Hebdo et François Brigneau :
Au moment de la mort accidentelle d’un membre du Front National,
Jean-Pierre Stirbois, le journal d’extrême droite National
Hebdo et son chroniqueur, ancien milicien, lui rendent hommage.
Quelques jours auparavant, juste après la mort de M. Stirbois, Anne Sinclair au cours de l’émission Sept sur
Sept avait interrogé Philippe Alexandre, journaliste à RTL, sur cette mort.
Le célèbre chroniqueur avait répondu en substance que toute mort est triste
pour les proches du défunt, mais que, comme citoyen, lui, Philippe Alexandre,
n’éprouvait aucune tristesse particulière, se rappelant que M. Stirbois était l’auteur de la dérive antisémite du Front
National.
Dans les colonnes de l’hebdomadaire d’extrême droit National
Hebdo, M. Brigneau écrit :
« Jean-Pierre, ta victoire tu vas l’avoir
après un dernier crachat casher : Anne Sinclair, marchande de soutiens-gorges à TF1, juive mal assimilée de tendance
socialiste, et Philippe Alexandre, marchand de bretelles à RTL, juif mieux
assimilé, de tendance centriste … ».
Aucun argument, aucun raisonnement, aucune pensée. La haine du
juif relève d’une évidence qui comme toute évidence ne se démontre pas.
- Le journal Présent et Jean Madiran :
Dans la même ligne, un membre du Front National avait été tué dans
une ville du sud-est et plusieurs hypothèses avaient été avancées, du suicide
jusqu’à des règlements de comptes sur fond de vie privée.
Le procureur de la République de Toulon avait rendu public un
communiqué.
Des journalistes se présentant en retard à sa conférence de presse
avaient été reçus par un de ses substituts, M. Lévy, qui s’était borné à
répéter ce que le procureur avait dit. Sous la plume de Jean Madiran les
journalistes sont désignés comme « les
chacals de la presse cosmopolite », le nom de Lévy est martelé à sept
reprises sous le titre : « C’est
le substitut Lévy qui a lâché les chacals ».
Ces deux exemples sont pris parmi une quantité d’autres et
illustrent la permanence d’une haine du juif qui n’a changé ni de forme, ni de
force près de cent ans après Dreyfus.
B - L’HÉRITAGE ANTISÉMITE
CHRÉTIEN
Une survivance de l’antisémitisme chrétien s’observe assez
régulièrement.
Deux exemples récents l’illustrent :
- L’affaire de la Bible des communautés chrétiennes :
Une édition commise par des clercs – les
communauté Saint-Paul qui ont leur siège en Italie et un grand
rayonnement en Amérique du Sud –, contenait un apparat critique sous forme de
notes en bas de page, totalement antisémites, ainsi que des traductions
tendancieuses.
- Un lecteur de Sud-Ouest :
Au moment où Monseigneur Eyt, archevêque
de Bordeaux, oeuvrait pour le rapprochement entre les
catholiques et les juifs, un lecteur avait écrit une lettre à Sud-Ouest,
qui n’avait pas hésité à la publier.
On y lisait :
« Comment peut-on oublier que les juifs sont
responsables de la flagellation, du couronnement d’épines et de la crucifixion,
eux qui deux mille ans après n’ont toujours pas demandé pardon !».
Là encore, c’est l’expression brute d’une haine qui n’a été passée
au crible d’aucun examen critique : ce misérable n’avait même pas lu l’Évangile
puisqu’il y aurait appris que c’est Pilate, gouverneur romain, qui a livré
l’homme juif Jésus à ses soldats et que ce sont par conséquent des soldats
romains qui l’ont flagellé, couronné d’épines, crucifié et abandonné mort sur
la croix romaine où il avait été fixé par eux.
Là encore, il s’agit d’exemples saillants particulièrement
révélateurs.
A Saint-Nicolas du Chardonnet, l’abbé Laguérie
n’hésite pas à inviter ses fidèles à prier pour que l’Église soit un peu moins
« hébraïsante».
Voilà pour la permanence de cet antisémitisme porté par de
pseudo-intellectuels ou de soi-disant bons chrétiens à qui l’histoire n’a rien
appris, les uns se réclamant de l’outrance qu’on doit pardonner au polémiste,
les autres de la ferveur religieuse.
C – L’ANTISÉMITISME
NATIONALISTE
Une manifestation contemporaine de cet antisémitisme traditionnel
à tendance nationaliste est celle de M. Renaud Camus, écrivain. Il avait constaté
que sur France Culture, on entendait surtout des Juifs parler entre eux
d’écrivains français. Il avait alors opposé la judaïté conçue par lui comme un
élément d’extranéité et l’appartenance à la communauté culturelle française
dans laquelle le Juif ne pourrait pas véritablement s’insérer.
M. Renaud Camus, qui compte les Juifs à la radio comme d’autres
les moutons pour s’endormir, avait clairement dit en substance que
l’immigration récente des Juifs ne pouvait pas les rendre pertinents dans
l’analyse d’œuvres authentiquement françaises pour pouvoir en apprécier toutes
les nuances et toutes les subtilités car il leur manquerait une sorte de patine
intellectuelle ou de sensibilité qui ne se formerait qu’avec le temps.
De la même veine était un article particulièrement venimeux et
perfide paru dans Rivarol. L’auteur racontait une histoire : il
avait rencontré son meilleur ami, un Juif, l’être auquel il tenait le plus, son
double. Il l’avait trouvé triste. L’autre s’en était expliqué en disant que le
regain d’antisémitisme en France le poussait à envisager de partir pour Israël.
Et l’auteur feignait de se désespérer. Il allait perdre son ami, mais surtout
qu’allait devenir la France ? Et de poursuivre ainsi : « Que va devenir la médecine si décident de partir
pour Israël untel, untel, untel ? Que vont devenir la radio et la
télévision si les imitent x, y, z ? Et le théâtre ? Et le
cinéma ? » et suivait la litanie des
noms de Juifs qui se trouvaient ainsi désignés, apatrides en leur pays puisque
Juifs voués à l’errance ayant les yeux tournés vers Israël.
*
* *
Ainsi n’est-il pas abusif de dire que ni Dreyfus ni la Shoah n’ont
rien enseigné à ces pseudo-intellectuels aux yeux de qui le Juif demeure le
marchand, le cosmopolite, l’étranger inapte à se fondre dans l’identité
française.
Et on ne lui laisse aucune chance puisque, s’il le fait, alors
c’est qu’il se dissimule, qu’il se cache mais en vain puisqu’on peut le
débusquer !
II –
LES FORMES NOUVELLES DE L’ANTISÉMITISME ET DES VIOLENCES
Deux formes nouvelles de l’antisémitisme se sont manifestées
depuis la guerre :
- l’une, c’est le négationnisme ;
- l’autre, c’est l’antisionisme ;
- avec comme conséquence la violence.
A - LE NÉGATIONNISME
Il s’agit, comme vous le savez, pour ceux qu’on a d’abord appelés
les révisionnistes et qu’on nomme aujourd’hui les négationnistes de contester
soit l’étendue des conséquences de la Shoah qui aurait été totalement
surévaluée pour des motifs inavouables, soit de les nier purement et simplement
au nom d’analyses scientifiques et techniques qui ne laisseraient aucune place au doute.
1°) le négationnisme
relatif
- Rassinier :
Le premier négationniste est Rassinier
qui avait écrit en 1960 un livre intitulé Le drame des Juifs européens où,
à partir de données chiffrées puisées dans l’état civil des différents pays
d’Europe de l’Est, d’Europe Centrale et de France, il avait estimé pouvoir
établir qu’il était impossible qu’eussent été exterminés six millions de Juifs
mais tout au plus deux millions.
Il n’avait pas une larme ni un mot de compassion pour ces deux
millions de victimes qu’il reconnaissait, mais s’appesantissait longuement sur
les motifs de ce mensonge : c’est en gonflant le nombre des victimes que
les Juifs espéreraient obtenir beaucoup d’argent des pays coupables de cette
ignominie afin d’accumuler des richesses suffisantes pour préparer la troisième
guerre mondiale.
- Le Pen :
On se rappelle les propos de M. Le Pen affirmant que
l’extermination des Juifs n’avait été qu’un « point de détail » de
l’histoire de la deuxième guerre mondiale.
Il s’en est défendu en recourant à la science numérique : il
voulait simplement dire, a-t-il affirmé, que, sur les
trente millions de morts imputables à la guerre de 39-45, les Juifs n’avaient
représenté qu’un faible nombre de victimes.
On est évidemment en plein négationnisme relatif comme l’était
aussi cet autre qui avait dit qu’à Auschwitz, il n’y avait eu que quelques
dizaines de milliers de morts.
- Garaudy :
Dans le même registre que Rassinier,
Roger Garaudy a commis il y a quelques années le livre intitulé Les mythes
fondateurs d’Israël où il se livre à une analyse destinée à minorer les
conséquences des crimes nazis et dont il tire argument pour soutenir qu’en
réalité les Juifs auraient considérablement exagéré leurs malheurs pour
légitimer la création illégitime de l’Etat d’Israël et leur domination sur le
Proche Orient.
2°) Le négationnisme
radical
C’est celui notamment de Robert Faurisson.
M. Faurisson, à de multiples reprises, a exposé ses thèses dans des livres, dans des
conférences de presse, sur son site internet et a fait l’objet de condamnations
répétées dont je reparlerai à propos de la réponse judiciaire à
l’antisémitisme.
Il comparaîtra dans trois jours devant le tribunal correctionnel
de Paris pour avoir dit, il y a un peu plus d’un an :
« mais d’abord, je voudrais vous dire ceci. Il n’y a jamais eu aucune
tentative d’extermination des juifs par les nazis. Les nazis ont recherché une
solution finale territoriale de la question juive. On dit toujours, solution
finale, et on donne à entendre que ça signifie extermination. On ne donne
jamais l’adjectif territorial.
Les nationaux socialistes partageaient avec les sionistes, au
moins au début un idéal qui était celui d’installer les juifs quelque part dans
le monde pour qu’ils ne soient plus des parasites, pour qu’ils aient un pays à
eux.
C’est ainsi que les allemands ont songé que peut-être, les juifs
pourraient s’installer à Madagascar, ou bien en Ouganda, à un moment même, ils
ont pensé à la Palestine. Et puis les nationaux socialistes ont renoncé à
l’idée de la Palestine, et je cite le document où ils ont renoncé ; ce
document dit que on ne peut pas installer les juifs en
Palestine, à cause du noble et vaillant peuple arabe, on ne peut pas faire cela
aux arabes.
Il n’y a jamais eu de politique d’extermination physique des
juifs. Il était interdit de tuer les juifs, et toutes les images qu’on vous
présente de cadavres dans les camps sont des images à quelques exceptions près,
de personnes qui sont mortes d’épidémie de typhus, qui ont fait de formidables
ravages dans l’Europe en guerre.
Il y a donc un mensonge effroyable à prétendre que les gens qui
sont morts, ont été tués. D’autre part, on vous présente des fours crématoires ;
comme si c’était la preuve que les allemands avaient voulu tuer les juifs. Pas
du tout. Les fours crématoires étaient faits pour incinérer les cadavres, aussi
bien de juifs que des personnes qui n’étaient pas juives, et même des personnes
allemandes qui étaient mortes.
A Auschwitz en particulier, qui était un camp bâti sur un terrain
possédant des marais, il était impossible d’enterrer les morts. Donc on les
incinérait. L’incinération était d’autant plus nécessaire qu’il y avait des
risques d’épidémie. Et on a osé présenter Auschwitz comme un camp, où les gens
auraient été d’abord gazés puis incinérés. Il n’a jamais existé une seule
chambre à gaz d’exécution chez les allemands, pas une seule. Celles que l’on
fait visiter à des millions de touristes à Auschwitz, n’a jamais été une
chambre à gaz, ça a d’abord été ce qu’on appelle un dépositoire, c’est-à-dire
une salle où l’on met les cadavres en attente de leur incinération dans une
autre salle qui est à côté. Puis ça a été un abris
anti-aérien, avec une salle d’opération chirurgicale et deux chambres.
Par conséquent ce que des millions de touristes visitent à
Auschwitz, c’est un mensonge, c’est une falsification, c’est une tromperie pour
touristes.
Moi je l’ai découvert en 1975, et j’ai été insulté, j’ai été
chassé de mon poste de Professeur, pour avoir dit cela. Or en 1995,
c’est-à-dire 20 ans plus tard, des historiens tout à fait favorables aux juifs
ont fini par le reconnaître. Je peux vous donner la référence de cela et
notamment le cas de quelqu’un qui s’appelle Eric
Conan, son nom s’écrit CONAN, dans l’express qui est un magazine
, du 19 janvier 1995, il a fini par écrire, ce monsieur, qui m’est très
hostile « Faurisson avait raison, dans
cette chambre à gaz, toute cette prétendue chambre à gaz, tout est faux ».
Il est allé trouver la sous-directrice du musée d’Auschwitz et lui a dit vous
ne pouvez pas laisser cette chambre à gaz, cette prétendue chambre à gaz comme
cela et montrer aux touristes, une prétendue chambre à gaz et mentir aux touristes,
qu’est-ce que vous allez faire. Et la sous directrice dont il nous donne le
nom, c’est une madame Christina Olesky, OLEKSY, a dit
c’est trop compliqué. Elle voulait dire c’est trop compliqué de dire la vérité.
Cette chambre à gaz on la laisse en l’état, on verra plus tard, cela revient à
dire, nous, nous avons menti, nous continuerons jusqu’à nouvel ordre. Et en
2001, saurez vous que dans une cassette vidéo on a,
qui a été faite par nos adversaires, les gens qui ne sont pas d’accord avec
moi, ils ont dit … ».
Cette lecture à elle seule se passe de commentaire et illustre
très précisément cette forme nouvelle de l’antisémitisme qui consiste à accuser
les Juifs de mentir à propos de malheurs imaginaires qu’ils ne brandiraient que
pour en tirer partie et servir leurs intérêts.
On se rappelle avec tristesse la phrase prononcée, il y a
plusieurs années, par Domenach, ancien directeur de
la revue Esprit : il avait jugé bon de stigmatiser ceux qui selon
lui ne penseraient qu’à percevoir « les
dividendes d’Auschwitz ». Formule horrible qui, elle aussi, se passe
de commentaire.
B - L’ANTISIONISME
Plus subtile et non moins dangereux, l’antisionisme est l’alibi de
grand nombre d’antisémites qui trouvent là le moyen de justifier leur haine du
Juif.
Comprenons bien, toute critique de la politique de l’Etat d’Israël
est légitime. On se rappelle, à cet égard, l’échange de lettres entre Ben Gourion et Charles de Gaulle, ce dernier exprimant au
premier qu’à partir du moment où le peuple juif s’était constitué en Etat, il
ne pouvait échapper, pas plus qu’aucun autre Etat, au regard de la communauté
universelle.
Ce dont il est question, c’est tout autre chose. C’est la mise en
cause non pas des choix politiques, stratégiques ou militaires effectués par un
Etat en telle ou telle circonstance, mais sous prétexte de compassion à l’égard
des populations palestiniennes, de l’amalgame entre l’Etat d’Israël
contemporain et le peuple juif pris à travers l’universalité de ses membres et
toute l’étendue de son histoire.
Quelques exemples :
- le dessin de Konk :
Ce dessin avait paru dans Rivarol. On voyait un quai de
gare et des wagons à bestiaux garés le long du quai. Au pied des wagons, un
officier nazi en uniforme et un soldat nazi en casque. Entre eux, un chien policier.
En face d’eux, prêts à monter dans les wagons, une foule de civils, hommes,
femmes et enfants. Simplement, les civils étaient habillés de djellabas et
coiffés de keffiehs et les deux militaires SS avaient l’un sur sa casquette,
l’autre sur son casque, une étoile de David. Une bulle s’échappait de la bouche
de l’officier où l’on pouvait lire : « Les hommes à Gaza, les femmes à Jéricho ! ».
Konk prétendait en vain qu’il
se bornait à une critique de la politique d’Israël puisqu’on ne sache pas qu’il
y ait en Israël de wagons à bestiaux dans lesquels des officiers en tenues de
SS feraient monter les hommes et les femmes pour les répartir entre deux points
opposés des territoires palestiniens.
Il s’en prenait donc au peuple juif désigné clairement comme le
peuple des bourreaux identiques exactement à ceux dont il prétend avoir été la
victime et ne faisant rien moins que de commettre réellement les crimes dont il
ne cesserait de clamer qu’il a été lui-même victime.
- le sermon de Noël :
Dans une petite paroisse de la banlieue de Montpellier, la nuit de
Noël, le curé a distribué une feuille écrite en langue vernaculaire et en
français sur laquelle on pouvait lire en substance :
« Regardez le, ce Jésus dans sa crèche. Pauvre petit Palestinien. Sharon l’a tué ».
L’imbécillité du propos n’atténue pas sa méchanceté. Il est un
exemple quasi-archétypique d’un mélange subtil. C’est d’abord la permanence
d’un antisémitisme chrétien durable, puisque Jésus n’y est pas identifié comme
Juif mais comme un Palestinien que le chef du gouvernement juif aurait tué, au
nom de tout le peuple.
En même temps, la phrase a comme alibi le sort que ferait l’Etat
d’Israël aux Palestiniens et a été revendiquée à l’audience comme une simple
critique de la politique de l’Etat d’Israël !
Faut-il dire, à ma grande honte, que, de toutes les affaires que
j’ai citées et que je cite ici, c’est la seule qui a abouti à la relaxe de
l’auteur de ces misérables propos.
- Dieudonné :
Dans le même registre, M. Dieudonné M’bala M’bala profère des propos de même portée. Il y a deux ans, il a déclaré
dans un spectacle puis dans une interview :
« Ce
sont tous ces négriers reconvertis dans la banque, le spectacle et aujourd’hui
l’action terroriste qui manifestent leur soutien à la politique d’Ariel Sharon.
Ceux qui m’attaquent ont fondé des empires et des fortunes sur la traite des
Noirs et l’esclavage. »
Son discours n’est pas
une critique de la politique d’Ariel Sharon comme il aurait le droit de
l’exprimer, ni un jugement sévère appliqué aux citoyens d’Israël qui
soutiennent Ariel Sharon. L’arche jetée à travers le temps depuis les négriers
jusqu’aux contemporains montre assez qu’il s’agit d’un cri de haine à l’égard
de la communauté juive toute entière, ce que le tribunal a bien vu :
« Un tel anathème, l’emploi du terme
particulièrement violent de « négrier » et l’amalgame auquel le
prévenu se livre en recourant à des stéréotypes antisémites qu’il mélange et
n’hésite pas à actualiser de manière singulière – le négrier enrichi, le banquier,
le militant sioniste, le terroriste soutenant Ariel Sharon – ne peuvent que
susciter chez le lecteur un vif sentiment de rejet voire de haine ou de
violence à l’égard de la communauté juive ainsi présentée sous un jour odieux,
et constituer un ferment indéniable de discorde ».
C – LES VIOLENCES
Ce ne sont pas seulement des propos, mais des actes qui
aujourd’hui manifestent l’antisémitisme à l’œuvre dans notre pays.
Le ministère de l’intérieur a dénombré du 1er janvier
au 31 décembre 2005 :
·
soixante dix-sept agressions physiques,
·
dix jets d’objets et de gaz,
·
onze jets d’objets incendiaires,
·
cinquante quatre actes de dégradations ou de vandalisme,
soit au total cent cinquante deux actes
violents.
Il a également dénombré cent quarante huit
actes malveillants sous la forme de menaces, de profanations, d’insultes,
d’inscriptions ou de courriers.
Pour les six premiers mois du 1er janvier au 30 juin
2006, il a dénombré :
·
cinquante neuf agressions physiques,
·
sept jets d’objets et gaz,
·
un jet d’objets incendiaires ou incendie,
·
vingt quatre dégradations ou actes de vandalisme,
soit quatre vingt douze pour simplement six
mois.
Pour ce qui concerne les menaces, on répertorie :
·
douze menaces,
·
trente trois insultes,
·
deux distributions publiques,
·
onze inscriptions,
·
sept courriers,
soit au total soixante cinq.
C’est donc une augmentation sensible.
Nombre d’enseignants juifs sont pris à partie dans les
établissements des quartiers difficiles, molestés ou frappés. D’autres voient leur
voiture vandalisée. Enfin, les élèves eux-mêmes peuvent faire l’objet d’un
ostracisme ou de persécutions mentales ou physiques.
Ce fut notamment le cas du jeune Serrero
au lycée Montaigne où les professeurs s’étaient tus et où la seule riposte de
l’administration avait été, dans un premier temps, de conseiller aux parents de
changer leur petit garçon d’établissement scolaire !
Enfin, la plus exemplaire de toutes les violences est l’assassinat
récent du jeune Ilan Halimi, séquestré et torturé pendant plus de dix jours
dans des conditions particulièrement barbares. L’antisémitisme traditionnel
réapparaît derrière cet acte d’une cruauté inouïe : Ilan Halimi avait été
choisi parce qu’il était Juif, donc susceptible d’avoir de l’argent qu’il
pourrait donner ou faire donner par ses parents dans le cadre d’une demande de
rançon.
III –
LES DÉBATS JURIDIQUES AUTOUR DE L’ANTISÉMITISME
Cette permanence d’un antisémitisme, qui n’est pas le lot de la
population dans son ensemble mais qui empoisonne la vie publique, a imposé au
législateur de prendre des mesures.
L’une d’entre elles, la « loi Gayssot »,
fait l’objet d’une contestation.
En même temps, l’apparition des moyens de communication par
internet pose de nouveaux problèmes.
A – LES RÉPONSES
JURIDIQUES ET JUDICIAIRES
La loi du 29 juillet 1881, proclamatrice de libertés, avait
organisé l’impression, l’édition et la vente en librairie. En même temps, elle
avait institué un régime de responsabilité permettant de réprimer les abus de
cette liberté lorsqu’ils portent atteinte aux personnes, publiques ou privées,
ou aux bonnes mœurs, ou encore lorsqu’ils constituent l’apologie de délits ou
de crimes ou incitent à l’insurrection.
Pour endiguer le flot des attaques antisémites, la loi du 1er
juillet 1972 (dite « loi Pleven »), a institué la répression d’une
série de délits commis envers une personne ou un groupe de personnes à raison
de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie,
une nation, une race ou une religion déterminée.
Ce sont donc des délits particuliers dont on peut établir la
liste :
- les injures ;
- les diffamations ;
- l’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence.
En même temps, l’appareil législatif français a érigé en circonstance
aggravante d’un crime ou d’un délit le mobile xénophobe, raciste, antisémite ou
discriminatoire. La « loi Lellouche » a renforcé le dispositif déjà
en place.
L’antisémitisme a trouvé alors de nouvelles voies pour
s’exprimer : sous prétexte de recherches historiques, légitimes par
définition, sont apparues les thèses révisionnistes et négationnistes dont j’ai
parlé plus haut. La caution d’universitaires a prétendu les conforter. C’est
dans ces conditions que la loi du 13 juillet 1990, dite « Loi Gayssot », a été promulguée et introduite sous la
forme d’un article 24 bis dans la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.
B – LA CONTESTATION DE LA
« LOI GAYSSOT »
La loi réprime :
« ceux qui auront contesté (…) l’existence
d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par
l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de
Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une
organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut,
soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction
française ou internationale ».
Ce n’est pas le débat autour de l’histoire qui est proscrit par
cette loi. C’est la négation de l’existence de crimes dont la réalité est
indiscutable et qui ont fait l’objet de jugements. Cette loi a permis de
poursuivre et de faire condamner devant les tribunaux toutes sortes de
personnes (hommes politiques, universitaires, journalistes, un avocat même) qui
professent que les chambres à gaz seraient un mensonge historique, qu’il n’y
aurait jamais eu de politique d’extermination voulue, décidée et mise en œuvre
par les nazis et leurs alliés et que tout cela serait, en réalité, un énorme
mensonge historique.
Cette loi spécifique permet de réprimer l’expression particulière
de l’antisémitisme que constitue la négation de la Shoah. En réalité, il n’y a
pas de débat historique qui résiste aux preuves amoncelées depuis plus de
soixante ans et soigneusement sauvées de l’oubli par le travail de chercheurs
comme Simon Wiesenthal, Serge Klarsfeld et tant
d’autres.
On l’a déjà dit : nier la Shoah, c’est accuser les Juifs de
mentir pour tirer des avantages indus de souffrances qu’ils n’auraient pas
endurées. C’est le thème du Juif dominateur et sans scrupule qui au début du
vingtième siècle avait été largement exploité déjà par Les protocoles des
Sages de Sion.
La « loi Gayssot » est
contestée aujourd’hui sur deux fronts :
- au nom de la liberté d’expression ;
- au nom de l’incongruité qu’il y aurait à voir le législateur se
faire proclamateur d’histoire.
1°) La liberté d’expression
Deux thèses s’affrontent.
Celle inspirée des Américains et du premier amendement à la
Constitution américaine, selon laquelle on ne peut rien interdire. Il est
seulement permis à une victime qui aurait subi un préjudice de demander une
réparation au titre d’un abus de cette liberté. J’appellerais cela la
conception intégriste de la liberté d’expression.
De l’autre, une conception française et européenne pour qui, si
cette liberté est sacrée et constitue un pilier de la démocratie, l’intérêt
public commande que ne soient pas permises les expressions d’une haine raciste,
xénophobe, homophobe ou antisémite, parce qu’elles ne peuvent pas revendiquer
l’immunité au nom de la liberté de pensée et d’expression.
En France, les tenants de cette ligne ont réussi à obtenir que la
haine ou le mépris à caractère discriminatoire ne jouissent pas de l’immunité
conférée à la liberté d’opinion et d’expression. Il faut, en effet, distinguer
très précisément ce qui est de l’ordre de la pensée et ce qui est de l’ordre de
la violence haineuse.
Les mots n’ont pas le pouvoir de sacraliser tout et n’importe
quoi. Il existe des délits qui sont matérialisés par des mots : le
harcèlement moral, le harcèlement sexuel, le chantage, l’outrage à magistrat, etc … Qui s’aventurerait à avoir le ridicule de prétendre
que parce qu’il s’agit de phrases proférées par la personne humaine, les mots
ne pourraient jamais faire l’objet de poursuites ni d’interdits ?
La phrase ou le mot qui exprime la haine de l’autre en niant ce
qu’il a en lui de dignité humaine irréductible et égale à toute autre personne
humaine est déjà un acte suppressif, un acte de violence, une agression qui
peut être mortelle.
Nombre de juristes ont milité pour que les incriminations pénales
relatives aux infractions à caractère raciste, xénophobe ou antisémite soient
extraites de la loi fondant la liberté d’expression et d’impression pour
figurer comme délits de droit commun dans le corps du code pénal.
Un chemin a été accompli puisque déjà le régime court de la
prescription de trois mois applicable aux délits de presse ne bénéficie plus
aux atteintes xénophobes, racistes ou antisémites. Pour autant, la
prescription, si elle a été allongée à un an, n’est pas celle du droit commun
de trois ans.
2°) Une loi peut-elle prescrire l’histoire ?
Un autre axe de critiques de la « loi Gayssot »
se fonde sur les rapports entre la loi et l’histoire.
En effet, on a vu récemment le Parlement légiférer à trois
reprises dans des conditions discutables.
- une loi du Parlement français reconnaît l’existence du génocide
arménien ;
- la « loi Taubira » qualifie
de crimes contre l’humanité l’esclavage et la traite négrière, tout en ne
prenant en compte que l’esclavage pratiqué par certaines nations pendant une
certaine période de l’histoire ;
- une troisième loi, l’an passé, a estimé devoir proclamer les
bienfaits de la colonisation.
Aucune de ces lois ne comporte l’édiction d’une sanction
applicable à celui qui affirmerait le contraire de ce qu’elles proclament.
Est-il, par conséquent, légitime et raisonnable que le Parlement,
dont la fonction est d’édicter des lois normatives, se transforme en déclarateur d’histoire comme s’il y avait une histoire
officielle sur laquelle il serait illégal de faire porter un examen
critique ?
La question n’est pas anodine. Le droit, en effet, est relatif et
contingent. L’ordre qu’il instaure à un moment donné de la vie des peuples
coïncide avec l’état de la conscience collective. La loi est aussitôt dépassée
que promulguée et la jurisprudence est chargée de l’adapter aux situations
nouvelles que la vie invente à chaque instant. Voltaire disait déjà qu’on peut
être coupable en un ou deux points de l’hémisphère et absolument innocent dans
tout le reste du monde. On voit aussi, dans un temps bref, le droit se
transformer du tout au tout avec l’évolution des sociétés : il était
criminel, voici cinquante ans, d’avorter. C’est un délit aujourd’hui d’empêcher
une femme d’exercer son droit à avorter.
L’histoire elle-même n’est jamais définitivement connue ni
établie. Les progrès de la recherche, les découvertes archéologiques ou
l’exhumation de documents ignorés amènent l’historien à une révision
permanente.
Une loi qui proclame l’histoire est doublement imprudente :
elle méconnaît le caractère instable du droit en même temps qu’elle fige un
état de la connaissance historique.
C’est la raison pour laquelle, le 13 décembre dernier, des
personnalités de premier plan ont signé un texte demandant l’abolition de
toutes les lois proclamatrices d’histoire. Leur demande visait aussi la
« loi Gayssot ».
C’est un difficile et douloureux débat : les Arméniens, dont
le génocide n’a toujours pas été reconnu par la Turquie, demandent justice à la
communauté universelle au nom de l’histoire. On ne peut pas ne pas entendre
leur voix. Mais qui, aujourd’hui, nierait le génocide arménien par haine des
Arméniens ou dans l’espoir de faire croire que les Arméniens s’inventeraient de
fausses souffrances pour asservir le monde ?
La « loi Gayssot » est d’une
autre nature et, sans répéter ce qui a été dit, il me semble nécessaire de
continuer à la défendre en raison de sa spécificité parce que cette spécificité
répond au caractère irréductible à tout autre de la haine immémoriale que les
Juifs affrontent d’un bout à l’autre de l’univers depuis le commencement de
notre civilisation.
C – LES PROBLÈMES POSÉS
PAR INTERNET
La mondialisation est aussi celle de l’information. Le fabuleux
outil de communication universelle que constitue la toile permet à chacun
d’accéder à tout le savoir accumulé depuis que l’humanité a commencé à être
intelligente. Mais cette vague immense qui balaie le monde ne transmet pas seulement
partout l’écume la plus pure et les ondes les plus riches qu’on puisse rêver et
voir ; elle charrie aussi les immondices les plus nauséabonds.
La directive européenne et la loi française ont, avec beaucoup de sagesse,
présumé l’irresponsabilité des fournisseurs d’accès et d’hébergement, mais ont
aménagé un système de responsabilité dès lors que le fournisseur a connaissance
du message illicite qu’il héberge et transmet. Le juge peut lui donner
injonction de le supprimer et l’hébergeur, à peine de sanctions pénales, doit y
satisfaire.
Ainsi se trouve établi un subtil équilibre entre la liberté de
circulation des informations et des opinions et la suppression de messages pédo-pornographiques, racistes, xénophobes, antisémites ou
plus généralement discriminatoires.
Aux Etats-Unis même, en dépit du premier amendement, un débat
s’est instauré à travers une jurisprudence concernant Yahoo ! dont l’affaire avait été portée par la LICRA devant la cour
d’appel de Californie, 9ème circuit. Les juges américains ont émis
une opinion dissidente, estimant que le premier amendement ne peut pas être
invoqué pour légitimer tous les messages et notamment pas ceux qui nous
intéressent.
Mais nous sommes encore loin d’avoir réalisé
une unité juridique du monde anglo-saxon et du monde européen sur cette
question difficile. Bref, les marchands de pourriture ont encore de beaux jours
devant eux. Les avocats qui se consacrent à les contrer vont encore poursuivre
leur mission d’éboueurs sacrés.
CONCLUSION
Mesdames, Messieurs, l’affaire Dreyfus a eu le mérite, à
l’occasion d’une injustice exceptionnelle, de faire prendre conscience à notre
pays de l’étendue de l’infection dont il était atteint.
Le virus est récidivant. Nul vaccin, nulle thérapie n’en sont
venus à bout. Ses mutations ne le transforment pas radicalement. Il est vivace.
Il est durable. Nous avons au moins, pour en conjurer les effets, quelques
moyens à notre disposition : un colloque comme celui-ci, les juridictions
devant lesquelles nous témoignons et notre inlassable volonté de recommencer
toujours le même combat.
C’est notre détermination à témoigner toujours et à toujours
lutter qui nous rend dignes du nom d’homme. Ce n’est pas l’espérance qui nous
sauve, c’est nous qui sauvons l’espérance.
Christian Charrière-Bournazel
Avocat au Barreau de Paris