1939-1945
La victoire pour
qui ?
Le barreau de
Bordeaux semblait avoir été préservé de toute victime en 1940. Du moins le croyait-on jusqu'en 1981 . Cette année-là le nom de Pierre Benon, mort pour la France le 25 juin 1940, fit l'objet de l'adjonction d'une plaque séparée. Malheureusement, la réparation n'aura pas duré 20 ans. La plaque a disparu lors du transfert du monument de la Salle des
Pas-perdus du Palais de justice à la "Maison de l'Avocat" au début des années 2000. Pierre Benon, qui avait prêté serment en 1923, fut une deuxième fois oublié.
Sur le monument
aux morts du barreau de Bordeaux, la deuxième guerre mondiale ne conserve le souvenir que de cinq avocats. Tous sont morts pour la France. Tous sont morts en 1944 et 1945.
Un seul, ne
bénéficie pas en face de son nom de la date de son sacrifice pour la patrie.
Il est mort pour la France en "mai 1944". La date n'est pas indiquée. Il était juif et il a fait partie du convoi 69. Mais il n'est pas le seul. Quatre avocats de Bordeaux, même survivants, méritent que leur
mémoire soit honorée . En application du décret du 16 juillet 1941, ils avaient dû écrire â leur bâtonnier pour se déclarer
Juifs .
Le
14 octobre 1941, le Procureur
général avait demandé au Bâtonnier de l'Ordre de lui fournir les états
numériques et nominatifs des avocats inscrits au Tableau ou au Stage en
exécution de l'article 5 du décret du 16 juillet 1941. Et le bâtonnier
les lui avait donnés. Parmi eux celui de William Felsenhardt, qui avait prêté serment en 1922 .
Il est le seul des avocats morts pour la France dont le nom n'est pas suivi d'une date
précise. Il a été déporté en mars 1944. Né le 20 mai 1892, dans une famille établie â Bordeaux depuis l'Inquisition de 1492 en Espagne , il avait cru pouvoir trouver refuge â Tarbes, mais il devait y être arrêté en janvier 1944. Il a été assassiné le 12 mars 1944. À Auschwitz.
Cinquante-six ans
après, le 13 octobre 1997, l'IDHBB a rendu hommage à leur mémoire devant le buste de Ludovic Trarieux à l'entrée des locaux de
l'Ordre des avocats, au Palais de Justice de
Bordeaux. Le bâtonnier Bertrand Favreau, président de l'IDHBB, avait
alors prononcé ces mots :*
" A
Bordeaux, ils n' étaient que cinq. Au cours de l' été 1941, ils avaient été tenus d'adresser leur bâtonnier une autodénonciation dans laquelle, en vertu de l'article 3 paragraphe 1 du décret du 16 juillet précédent, ils devaient se déclarer juifs. Ils s'appelaient : Pierre Bloc ;
René Daninos ; Joseph Benzacar et William Felsenhardt ...
Le 13 mai
1943, le pére de Pierre Benzacar, Joseph Benzacar, âgé de 82 ans, avocat inscrit au barreau pendant 37 ans depuis 1890, agrégé de droit, professeur d'économie politique, était jeté dans un wagon à bestiaux avec sa femme Juliette et ses
enfants, Nathaniel et Rebecca.
Seul, un
de ses fils, Pierre, avocat, en réchappa... Leur chemin de croix est connu : Mérignac-Beaudésert, Drancy, puis le 20 mai, le "convoi 74" pour
Auschwitz et... la mort le jour même de leur arrivée, le 25 mai 1944...
Souvenons-nous
d'eux aujourd'hui. Au nom des membres de l'Institut- que j'ai seulement
qualité pour représenter-, demandons-leur pardon pour nos parents et nos
grands-parents qui ont laissé faire, qui ont ignoré leur souffrance, leur drame
et leur martyre et ont seulement déclaré qu'"un jour ils ne les avaient
plus revus".
Au nom de
l'IDHBB, je présente la communauté juive, nos confrères et amis juifs,
l'expression de notre douleur et de notre repentir fraternel. Je demande
solennellement l'Ordre des avocats de Bordeaux de bien vouloir exprimer un
jour, à son tour, ce même repentir pour ce silence devant les crimes commis et
les spoliations subies pendant et après la guerre.
..." *
* Extrait du
discours du bâtonnier Bertrand FAVREAU,
prononcé le 13
octobre 1997 au Palais de Justice de Bordeaux. Le texte a été publié in Le procès Papon,t.1, Paris, Albin Michel, 1998, p. 66.
Le Tableau de l'Ordre en 1904. Il porte la date d'inscription de Joseph Benzacar.
©Editions Tyché, Favreau, "Une Petite Histoire du Barreau de Bordeax"
MUSÉE DU BARREAU DE BORDEAUX |