1939-1945

La victoire pour qui ?

Le barreau de Bordeaux a été préservé de toute victime en 1940.

Sur le monument aux morts du barreau de Bordeaux, la deuxième guerre mondiale (1939-1945) a tracé les noms de cinq avocats. Tous sont morts pour la France. Tous sont morts en 1944 et 1945.

 

Un seul, ne bénéficie pas en face de son nom de la date de son sacrifice pour la patrie. Il est mort pour la France en mai 1944. La date n'est pas indiquée. Il était juif et il a fait partie du convoi 69. Mais il n'est pas le seul. Quatre avocats de Bordeaux, même survivants, méritent que leur mémoire soit honorée . En application du décret du 16 juillet 1941, ils avaient dû écrire â leur bâtonnier pour se dé clarer  Juifs  .

 

Le 14 octobre 1941, le Procureur général avait demandé au Bâtonnier de l'Ordre de lui fournir les états numériques et nominatifs des avocats inscrits au Tableau ou au Stage en exécution de l'article 5 du décret du 16 juillet 1941. Et le point bâtonnier les lui avait donnés. Parmi eux celui de William Felsenhardt. Il est le seul des avocats morts pour la France dont le nom n'est pas suivi d'une date précise. Il a été déporté en mars 1944. Né le 20 mai 1892, dans une famille établie â Bordeaux depuis l'Inquisition de 1492 en Espagne , il avait cru pouvoir trouver refuge â Tarbes, mais il devait y être arrêté en janvier 1944. Il est mort le 12 mars 1944. À Auschwitz.

 

Cinquante-six ans après, le 13 octobre 1997, l'IDHBB a rendu hommage à leur mémoire devant le buste de Ludovic Trarieux à l'entrée des locaux de l'Ordre des avocats, au Palais de Justice de Bordeaux. Le bâtonnier Bertrand Favreau, président de l'IDHBB, avait alors prononcé ces mots :*

 

" A Bordeaux, ils n' étaient que cinq. Au cours de l' été 1941, ils avaient été tenus d'adresser leur bâtonnier une autodénonciation dans laquelle, en vertu de l'article 3 paragraphe 1 du décret du 16 juillet précédent, ils devaient se déclarer juifs. Ils s'appelaient : Pierre Bloc ; René Daninos ; Pierre Benzacar et William Felsenhardt ...

 

Le 13 mai 1943, le pére de Pierre Benzacar, Joseph Benzacar, gé de 82 ans, avocat et professeur agrégé des Facultés de droit, était jeté dans un wagon à bestiaux avec sa femme Juliette et ses enfants, Nathaniel et Rebecca.

Seul, un de ses fils, Pierre, avocat, en réchappa... Leur chemin de croix est connu : Mérignac-Beaudésert, Drancy, puis le "convoi 74" pour Auschwitz et... la mort le jour même de leur arrivée, le 20 mai 1944...

 

Souvenons-nous d'eux aujourd'hui. Au nom des membres de l'Institut- que j'ai seulement qualité pour représenter-, demandons-leur pardon pour nos parents et nos grands-parents qui ont laissé faire, qui ont ignoré leur souffrance, leur drame et leur martyre et ont seulement déclaré qu'"un jour ils ne les avaient plus revus".

Au nom de l'IDHBB, je présente la communauté juive, nos confrères et amis juifs, l'expression de notre douleur et de notre repentir fraternel. Je demande solennellement l'Ordre des avocats de Bordeaux de bien vouloir exprimer un jour, à son tour, ce même repentir pour ce silence devant les crimes commis et les spoliations subies pendant et après la guerre.
..." *

 

* Extrait du discours du bâtonnier Bertrand FAVREAU,

prononcé le 13 octobre 1997 au Palais de Justice de Bordeaux. Le texte a été publié in Le procès Papon,t.1, Paris, Albin Michel, 1998, p. 66.

 

 

(C) IDHBB