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Le Palais de Justice de Bordeaux (1846)

 

Le Palais de Justice lors de son inauguration

Le Palais de Justice de Bordeaux inauguré en 1846.

 

Bordeaux à dire vrai n’avait plus de Palais de Justice depuis que la Révolution avait détruit l’antique Palais de l’Ombrière. Un décret impérial de 1808, pris au vu de l'état déplorable des locaux de la cour royale et surtout des prisons, avait bien préconisé la réalisation d’un nouveau Palais de Justice, mais nul ne s’était préoccupé de l’appliquer. Ce n'est qu'en 1831 que l'on songea à une nouvelle construction. Encore ne s’agissait-il que d’édifier une salle de justice criminelle et d'une prison sur l'emplacement du Fort du . La Cour royale et le Tribunal de Première instance devaient rester dans les bâtiments de l'ancien collège de Guyenne.

Ce projet, c’est l’architecte du département, Joseph-Adolphe Thiac (né à Bordeaux en 1800 et mort au Bouscat en 1865), qui a été chargé de le réaliser. Pour cela, il a consulté les magistrats de la Cour royale et soumis son plan définitif au Conseil des bâtiments civils en 1832. Il ne s’agit pas d’un palais de justice mais d’un édifice de dimension modeste, sur un plan carré : une salle de Cour d’Assises perdue au milieu d’un réseau de pièces et de cours autour d’une salle des Pas-perdus oblongue.

Joseph-Adolphe Thiac (né à Bordeaux en 1800 et mort au  Bouscat en 1865)

 

Le Château du vers 1640 Le Château du Hâ vers 1640 avec les deux tours qui subsistent encore par le dessinateur hollandais Hermann Van Der Hem (1619-1649

Aussitôt les travaux adjugés, le 10 novembre 1835, commence la démolition du Fort du . Ne seront conservées de l'ancien château que les deux tours qui subsistent encore : la Tour dite des Anglais et la Tour des Minimes. Un an plus tard, les pierres de taille s'entassent sur la place de la République que l’on appelait alors place d'Armes et les ouvriers commencent à creuser les fondations. Mais les travaux vont s'arrêter brusquement. Apparemment l’architecte et le préfet ont de bonnes raison. Certes, ils justifient cette interruption par le fait que les entrepreneurs cherchent tous les prétextes pour obtenir une augmentation du prix d'adjudication. Réalité ou prétexte ? En vérité, un nouveau projet a déjà pris corps. Celui du décret de 1808 : rassembler tous les organismes judiciaires dans un seul édifice.

Le 10 novembre 1836, le ministère de l'intérieur autorisait le préfet à s'opposer à la réouverture du chantier. Le Conseil général profitait de l'occasion pour rompre le marché. Le contentieux de la résiliation devait traîner jusqu'à 1838.

Thiac a du temps. Il le met à profit pour refaire projet sur projet, toujours plus grand, plus spacieux, plus fonctionnels. En attendant que la justice tranche, il en prépare dix en tout qu'il soumet régulièrement au Conseil des bâtiments civils. L’ancien projet de construction de la cour criminelle et des prisons va donner naissance à un vrai Palais de justice.

C’est un " Palais-temple " de la justice dont la façade sera érigée sur toute la longueur de la place. Sa colonnade empruntera au Parthénon, l'ordre dorique sans base et le nombre de ses colonnes (douze) aux longs côtés du temple d’Aphaïa, dans l’Ile d’Egine. La Cour d’Assises sera au centre et les salles d’audiences de la Cour royale et du Tribunal civil se répartiront à droite et à gauche d’une vaste salle des Pas-perdus rectangulaire, tandis que les prisons , dont on dit qu’elle sont conçue sur le modèle du système cellulaire de Pennsylvanie, s'organiseront à l'arrière de l'édifice. Ainsi, le Palais de Justice de Bordeaux tel qu’on peut le voir aujourd’hui est-il aussi un peu le fruit involontaire des lenteurs de la justice au XIXème siècle.

Le 9 août 1838, le nouveau projet accompagné d'un devis est définitivement adopté par le ministère. Les travaux commencent en 1839. On s’enquiert de consulter alors les magistrats et les avocats. Ils multiplient les visites sur le chantier, demandant à l'architecte de modifier certaines installations qui leur paraissent peu propices à l'exercice de leurs fonctions. De même les gens de robe sont-ils invités à désigner les juristes et les législateurs illustres dont les portraits leur paraissent devoir orner l’édifice tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Pour la façade, Michel de L'Hospital, Malesherbes et d'Aguesseau sont d’emblée voués à la gloire lapidaire. Mais il y désaccord pour le quatrième. Visitant Bordeaux en 1838, Stendhal écrivait :  " Un jour Bordeaux apprit de Paris que le président de Montesquieu qu’elle regardait comme un juge ordinaire, paresseux et bizarre était un grand homme " (Voyage dans le Midi de la France). Cette opinion n’était pourtant pas encore la chose la mieux partagée à Bordeaux en cette année 1838. Montesquieu ne fut choisi qu'après d'âpres discussions. Les magistrats proposaient Leberthon, leur avant-dernier premier président du Parlement de Bordeaux, puis acceptaient finalement de transiger sur l’effigie de Portalis, ancien conseiller d'Etat. Ardent défenseur du baron de La Brède, le Conseil général de la Gironde devait trancher la querelle en dernier ressort, le 28 août 1841, en sacrifiant Portalis au profit de Montesquieu, par quatorze voix contre onze. Et en 1845, le sculpteur Maggesi pouvait achever les quatre grandes statues qui trônent sur le Palais. Pour avoir tant attendu le droit de siéger sur la façade, Montesquieu n’y perdit point : sa statue devait figurer, de surcroît, debout et solitaire, au milieu des colonnes de la Salle des Pas-perdus de Thiac.

Ainsi, dix années ont passé depuis l’arrêt du chantier. Le 19 novembre 1846, le palais de justice et la prison du purent être inaugurés. Après la bénédiction d’usage du bâtiment, la voix du procureur général de la Seiglière célébra  à l’adresse de ses collègues les fastes du nouveau Palais : " Puissent vos décisions et nos paroles être toujours dignes d la sagesse de nos lois, de l’esprit de justice et d’égalité qu’elles respirent !... " Mais en écho au concert de louanges officielles, circulait dans Bordeaux un libelle anonyme vitupérant l’œuvre de Thiac en détaillant les sommes englouties pour la construction de l’édifice. Le nouveau Palais avait coûté le double de la somme prévue (deux millions de francs) .

La Salle de la Cour d’Assises a été plusieurs fois modifiée, et récemment dans les années quatre-vingt-dix. Si ses murs ont été retapissés à vingt et une reprises, soit une fois tous les sept ans en moyenne, elle a cependant depuis l’origine conservé son plafond où, depuis 1846, " La Justice, le Droit, la Loi, la Force compriment le crime et l'innocence rentre dans les bras de la vérité " dans les couleurs que leur a données le pinceau de Jobbé-Duval. C’est là que se sont déroulés depuis cent cinquante ans les grands procès de Bordeaux.

            On y vit ainsi le bâtonnier Peyrecave, dont nulle peine capitale n'assombrit jamais la longue carrière d'avocat d'assises, y arracher tant de fois les larmes des jurés en même temps que l'acquittement de l’accusé. On l’y admira, en 1906, luttant pied à pied pour laver du crime d’empoisonnement Mme CANABY, que François MAURIAC a définitivement immortalisée sous les traits de Thérèse DESQUEYROUX. On l’y entendit encore défendre l’accusé Bonal, à quatre-vingt-quatre ans, en 1924.

C’est là que fut prononcée, en 1930, la condamnation à mort de DELAFET, meurtrier de six membres de sa famille et qui fut, le 23 novembre 1933 dans la prison du , le dernier guillotiné publiquement à Bordeaux.

Là, encore, qu’en 1954, MARIE BESNARD vint de Poitiers pour y faire reconnaître son innocence et y être acquittée , après deux interminables procés et plus de douze ans de procédure, le 12 décembre 1961.

C’est là, aussi, que s’ouvrit, le 8 octobre 1997, un autre procès dont l'instruction, plus longue encore, a duré seize ans. Le plus long procès de l'histoire judiciaire française. Celui de Maurice Papon. Il a duré six mois. Après vingt et une heures de délibération, le deux avril 1998, il a été condamné à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crime contre l’humanité. C’était le 2 avril 1998 à 8 h 30 du matin. Dans l’attente du verdict, le vieux palais de justice de Thiac était resté ouvert toute la nuit. On y dormit dans les salles d’audience. Après, il ne devait plus jamais être tel qu’on l’avait connu auparavant. Quelques jours plus tard, le Beaubourg judiciaire de sir Richard Rogers allait ouvrir ses portes. B.F.

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